L'autre voix dit:
– Tu n'avais qu'à les envoyer chez des étrangers, n'importe où.
Notre Mère dit:
– Ce sont vos petits-fils.
– Mes petits-fils? Je ne les connais même pas. Ils sont combien?
– Deux. Deux garçons. Des jumeaux.
L'autre voix demande:
– Qu'est-ce que tu as fait des autres?
Notre Mère demande:
– Quels autres?
– Les chiennes mettent bas quatre ou cinq petits à la fois. On en garde
un ou deux, les autres, on les noie.
L'autre voix rit très fort. Notre Mère ne dit rien, et l'autre voix demande:
– Ils ont un père, au moins? Tu n'es pas mariée, que je sache.
Je n'ai pas été invitée à ton mariage.
– Je suis mariée. Leur père est au front. Je n'ai pas de nouvelles
depuis six mois.
– Alors, tu peux déjà faire une croix dessus.
L'autre voix rit dè nouveau, notre Mère pleure. Nous retournons devant
la porte du jardin.
Notre Mère sort de la maison avec une vieille femme. Notre Mère nous dit:
– Voici votre Grarid-Mère. Vous resterez chez elle pendant un certain temps,
jusqu'à la fin de la guerre.
Notre Grand-Mère dit:
– Ça peut durer longtemps. Mais je les ferai travailler, ne t'en fais pas.
La nourriture n'est pas gratuite ici non plus.
Notre Mère dit:
- Je vous enverrai de l'argent. Dans les valises, il y a leurs vêtements.
Et dans le carton, des draps et des couvertures. Soyez sages, mes petits. Je vous écrirai.